2021 M04 14
Compensation carbone, mode d'emploi
La compensation carbone, c'est le fait de contrebalancer des émissions de gaz à effet de serre (GES) en finançant des projets qui vont, eux, avoir un impact positif équivalent ou supérieur ailleurs sur la planète. On pense d’emblée à la plantation de forêts dont la capacité à capter le carbone est bien connue. C'est pour ça que se sont développées des associations de reforestation visant à refournir l'Amazonie ou replanter des cacaoyers au Pérou par exemple. Mais il y a de nombreuses autres actions qui permettent de réduire à long terme la consommation d'énergies salissantes, ne serait-ce qu'en installant des ampoules basse consommation ou des panneaux solaires...
Sauf que dans l’usage, il s’agit aussi pour les entreprises ou les particuliers de neutraliser leurs émissions en payant des crédits carbone qui serviront à leur tour à financer des actions de transition ou de captation de GES. La bonne nouvelle, c’est qu’on détient un levier pour effacer l’impact de vos dernières vacances comme de toute une chaîne de production. La mauvaise c’est que toutes les actions ne se valent pas. Envie de vous y frotter ?
50 nuances de vert
Il y a de très nombreux projets de compensation carbone disponibles. Mais pour trier le « greenwashing » (publicité mensongère assurant une démarche écologique pas forcément vertueuse) des compensations efficaces, il faut se fier aux labels. Les deux références sont le Gold Standard, créé par le WWF il y a 15 ans, et le VCS (Verified Carbon Standard) de l’association Verra. Tous deux certifient que les réductions d'émissions de carbone ont bien lieu car, hélas, cela n’est pas systématique.
Imaginez-vous financer un puits à un village en Afrique qui évite de devoir faire bouillir de l’eau sur un réchaud à pétrole, pour découvrir en fin de chaîne que le puits créé est enseveli l’année suivante par une milice de passage… De l’argent perdu sans avoir eu le moindre effet sur l’environnement. C’est pourquoi, des règles et principes internationaux ont été mises en place depuis Kyoto pour s’assurer que les crédits payés par les pollueurs allaient réellement aider la transition vers un monde durable.
Dissiper les écrans de fumée avec des règles claires
D’abord, il est indispensable de réaliser un bilan des émissions et, ajoute l’ADEME, de le rendre public. Des agences d’audit font cela très bien pour les entreprises. Mais en tant que particulier, vous pouvez aussi aller le constater sur un calculateur comme celui-ci. Ensuite, l’acteur doit sélectionner un projet de compensation labellisé, car ce sont les seuls qui répondent aux 4 mesures indispensables :
1. La mesurabilité vérifie que la méthode de calcul des Tonnes équivalentes CO2 (ou TéqCO2, unité de mesure) compensées par le projet est valide.
2. La vérifiabilité instaure un audit de suivi de la baisse des GES chaque année.
3. La permanence impose qu’un projet de compensation évitera des émissions pendant 7 ans au moins.
4. Enfin, l’additionalité confirme qu’une compensation évite des émissions qui avaient lieu dans une situation initiale et non un nouvel état.
D’emblée on constate qu’il sera très difficile, sinon impossible, d’assurer qu’un projet aura bien un impact vertueux, dès lors qu’il est réalisé dans un pays différent de celui qui le finance. Car la mécanique de compensation repose sur l’idée que le réchauffement climatique n’a pas de frontière. C’est évidemment vrai mais cela permet de dégrader une situation d’un côté du globe à condition qu’on l’améliore de l’autre, ce que pratique la Chine en commercialisant les voitures électriques qui réduiront la pollution en Europe et en Amérique… produites à grands renforts de centrales à charbon chez elle. En 2016, l’étude de l’Oko-institut estimait que 85 % des projets de compensations carbone avaient une « faible probabilité » de porter les fruits attendus. Gloups.
Tu pollues à combien, toi ?
Mais la plus grande critique faite au système de compensation carbone est qu’il ne fait pas avancer le véritable besoin de changer l’exploitation d’un environnement consommable en un monde durable. Autrement dit, la compensation est la dernière étape d’un processus hiérarchique clair que décrit l’ADEME ainsi :
1) éviter toute pollution ;
2) réduire celle qui n’est pas évitable ;
3) compenser seulement ce qui n’a pas pu être réduit.
Alors que depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997 et l’instauration du marché des compensations volontaires, c’est bien tout un commerce qui s’est mis en place, celui du "droit de polluer", dont le cours de la TéqCO2 varie autour de 22 € la tonne compensée... Un surcoût qu’il est ensuite bien facile de faire payer au consommateur (en augmentant le prix d'un billet d’avion du coût de plantation d’un arbre) tout en continuant à polluer ou dépenser de façon dispendieuse l'énergie. La sortie de ce modèle est diplomatiquement délicate, mais simple à concevoir, car les études du GIEC nous montrent la voie depuis des années : adopter une énergie renouvelable, une alimentation dénuée de viande, et généraliser le troc et le recyclage. Car quand il n'y a pas de pollution rejetée, il n'y a rien à compenser.