2020 M10 25
Barbe et cheveux hirsutes, longs et gris, Michael Reynolds apparaît à l’écran avec son look de gourou du désert. Sorti en 2007, le documentaire Garbage Warrior (Les Combattants du recyclage) retrace son combat pour faire reconnaître le droit d’expérimenter dans le domaine de l’architecture. L’urgence, selon lui, est de concevoir des habitations dans lesquelles il sera possible de « survivre dans un monde qui s’effondre ». Pas de bunker anti-atomique ici, mais des maisons auto-suffisantes. L’idée est d’être indépendant en termes de nourriture et d’énergie. Ses maisons, installées en plein désert, sont autonomes en eau, chauffage et produisent une partie de la nourriture nécessaire à l’alimentation du foyer. Michael Reynolds l’affirme : « Vous êtes en charge de votre vie. »
Earthship, marque déposée
Inventeur, certes, hippie sûrement, Michael Reynolds n’en reste pas moins un business man. Si la première Earthship est sortie de terre en 1972, des milliers existent aujourd’hui à travers le monde. Mais pour que ces constructions portent ce nom, il faut que la construction ait été supervisée par Michael Reynolds lui-même. Son entreprise Earthship Biotecture a même développé l’application Simple Survival Earthships : 10 dollars pour avoir accès à des plans dessinés, une liste de matériels ou encore un guide de construction.
Les Earthships suivent un cahier des charges bien défini. D’abord, et c’est ce qui fait leur charme, elles sont construites à partir de matériaux recyclés : des pneus usagés remplis de terre sont utilisés pour la construction des murs tandis que les briques sont conçues à base de canettes d’aluminium (type canettes de bière). Pas de vitraux, mais des bouteilles de verre dans les murs intérieurs pour le côté esthétique.
Outre la récupération de l’eau de pluie, ces maisons sont conçues avec une façade sud entièrement vitrée afin de maximiser la chaleur, créant une serre où faire pousser fruits, plantes et légumes, tandis que la façade nord est recouverte de terre (le fameux mur de pneus). Le but étant ne pas être raccordé aux réseaux de distribution classiques types EDF. Panneaux solaires ou éoliennes complètent le système.
Essai, erreur, game over ?
Sur le papier tout cela fait rêver. En réalité, même si ces Earthships fonctionnent, elles ont évidemment leurs limites. Les principales évoquées ici, ou là, concernent les problèmes d’isolation, de coût ou encore d’inadaptation à certains climats très froids. La production de nourriture à l’intérieur de la serre accolée sur la face sud est également très faible et ne permet pas de nourrir toute une famille, encore moins un quartier.
Dans un article d’analyse du discours de promotion des Earthships, Guillaume Lessard, chercheur en études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique à Montréal écrit ainsi : « Adoptant des stratégies de marketing vert, elles font notamment abstraction de ses limitations et exagèrent ses performances et son adaptabilité, ce qui peut expliquer sa popularité dans des contextes inappropriés, tel qu’au Québec. »
Malgré tout, les Earthships inspirent le domaine de la construction durable. D’autres initiatives ont tenté de répondre aux enjeux des écarts de température auxquels nous devons nous préparer. Mais un modèle qui fait ses preuves dans le désert ne sera pour autant pas aussi efficace à -30°C. C’est pourquoi Michael Reynolds insiste sur le droit à l’expérimentation, à l’expérience, à se tromper aussi, pour avancer vers de nouvelles façons d’habiter.