2022 M12 9
On compte aujourd’hui une douzaine d’humains ayant déjà marché sur la Lune, mais seulement 7 personnes sont descendues à 11 000 mètres de profondeur dans la fosse des Mariannes. Cela veut-il dire que l’homme peut atteindre plus facilement la Lune que le fond des océans ?
C’est en tout cas une comparaison symbolique pour comprendre l’étrange paradoxe lié à l’exploration et l’exploitation des fonds marins : une véritable terra incognita pour l’être humain qui ne connaît presque rien du fond des océans alors qu’il a foulé le sol lunaire et envoyé des robots sur Mars.
De cette terre inconnue dont nous sommes si proches, on sait néanmoins deux choses : la première, c’est que les fonds marins regorgent d’une biodiversité que l’on connaît mal et qui joue pourtant un rôle majeur dans l’écosystème marin, notamment pour stocker le CO2 dans les océans. La seconde, c’est que les fonds marins regorgent aussi de minéraux rares très utiles pour la transition écologique, mais aussi pour d’autres industries comme le numérique.
Autrement dit, en exploitant les fonds marins, nous pourrions à la fois détruire un véritable allié dans la lutte contre le réchauffement climatique tout en y extrayant de quoi accélérer la transition énergétique. Un drôle de paradoxe, n’est-ce-pas ?
L’Océan : un immense réservoir à métaux rares
Si nous ne savons pas grand-chose des fonds marins, nous savons tout de même que son sol est constitué à certains endroits de ce qu’on appelle des nodules polymétalliques. Il s’agit de cailloux qui sont composés de multiples matériaux : fer, manganèse, nickel, cuivre ou encore cobalt.
Ces nodules se trouvent au ras du plancher océanique et intéressent grandement les industriels puisqu’ils regorgent de ressources essentielles pour le fonctionnement des éoliennes, la fabrication des panneaux photovoltaïques ou encore des batteries lithium-ion. Des sujets stratégiques, à l’heure de la transition écologique, qui justifieraient une exploitation du sous-sol marin.
Il y a d’ailleurs des projets qui sont en cours sur ce sujet, à l’image de l’entreprise canadienne The Metals Company, qui envisage clairement d’aller racler le fond de la mer à l’aide de gros bulldozers d’ici 2024. À moins qu’un moratoire international sur le sujet l’en empêche.
Un bulldozer sous-marin de l'entreprise The Metals Company
Des ressources dont nous avons vraiment besoin ?
Mais à quel point les métaux que contiennent les nodules du fond des océans sont-ils essentiels pour l’humanité ? Sur ce sujet, tout le monde n’a pas la même lecture. Les plus écolos estiment qu’avec davantage de sobriété dans nos usages, ainsi que de meilleures pratiques de conception et de réemploi (recyclage des métaux, allongement de la durée de vie des appareils, réparation ou reconditionnement, etc.), nous pourrions largement subvenir à nos besoins grâce aux stocks de métaux déjà présents sur terre.
Il n’y a d’ailleurs pas que les écologistes qui le pensent puisque de nombreuses multinationales de l’automobile ou de l’électronique (Google, Renault, Volkswagen, par exemple) ont appelé récemment à un moratoire contre le “deep sea mining”, c’est-à-dire contre l’exploitation minière des fonds marins, au motif que les conséquences de cette pratique pourraient être plus néfastes que bénéfiques à l’humanité.
L’océan, un allié indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique
Les mers et océans, qui composent tout de même 97% de la surface de la terre, constituent le principal régulateur de notre climat. Les océans sont des puits de carbone extrêmement efficaces qui absorbent environ 30 % de nos émissions de CO2 tout en générant près de la moitié de notre oxygène. Et pourtant, le réchauffement climatique perturbe déjà largement le fonctionnement des océans : blanchiment du corail, perte de salinité liée à la fonte des glaces ou encore canicules marines en sont des exemples.
En parallèle, la surpêche participe à la destruction continue de multiples espèces qui évoluent à peu de profondeur. Ce qui perturbe aussi les écosystèmes marins. Prendre le risque d’aggraver cela en envoyant des sortes de bulldozers sous l’eau pour racler le sous-sol pourrait avoir de très mauvaises conséquences sur l’environnement : pollution sonore et lumineuse, contamination des eaux par les métaux, dispersion d’immenses nuages de sédiments et destruction d’écosystèmes ou d’espèces. Bref, cela ne ferait qu’empirer la situation.
Pour interdire cette pratique, le débat est porté par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), une instance qui dépend de l’ONU, chargée d’encadrer l’exploitation minière en eaux profondes. Elle devrait statuer d’ici 2023 sur le sujet. La France, de son côté, est officiellement contre cette pratique. Lors du sommet des Nations unies sur les océans, Emmanuel Macron a ainsi réaffirmé la nécessité d’un cadre légal pour stopper l’exploitation minière en haute mer. Un engagement qu’il a à nouveau pris lors de la COP27. En espérant qu’il soit rejoint par de nombreux pays.