La France peut-elle dépénaliser les drogues dures comme ses voisins d'Europe ?

Parce qu'interdire et punir n’a jamais rien réglé, le Portugal, l’Italie et plusieurs pays dépénalisent les drogues pour accompagner les toxicomanes en cure plutôt qu'en prison. Pourtant, en France, l'Etat veut continuer à dresser des amendes. À tort ou à raison ? On fait le point.
  • Stupéfiante Norvège

    Mi-février, le gouvernement norvégien a remis un texte de loi à son Parlement pour proposer la décriminalisation des drogues. La détention de cannabis, de LSD, d’ecstasy ou de cocaïne et même d’héroïne ne serait alors plus synonymes de peine en cas de saisie. Dans le détail, en-dessous d’une certaine quantité maximale de chacune, ces drogues seront confisquées sans inscription au casier judiciaire mais avec une convocation obligatoire chez un addictologue. En d’autres termes, au lieu de passer par la prison, les toxicomanes seront remis à l’administration de la Santé au lieu du ministère de la Justice

    En France un tel texte ferait bondir. Ici, on a ouvert la première « salle de shoot » en 2016 à Paris et une seule deuxième depuis, à Strasbourg. Contrairement à nos voisins européens, notre code de loi classe l’usage de toute drogue en infraction pénale et ne fait pas de différence entre consommation et trafic. Une vision radicalement éloignée de celle qui a poussé la ministre norvégienne Guri Melby a porter ce projet depuis des années : « Plusieurs décennies de répression nous ont enseigné que punir ne fonctionne pas. Au contraire, la punition peut aggraver les choses. »

    Chaque année, 267 Norvégiens en moyenne meurent encore d’overdose, soit 0,005 % de la population nationale. Mais ce chiffre est stable depuis des années. Or, si la politique anti-drogue ne résout pas ce problème de santé publique, elle a des effets délétères sur la société. « Être arrêté et condamné, résume Guri Melby, empire souvent les problèmes plutôt que d’offrir une solution. » Mais en fait, à quoi nos députés cherchent-ils une solution ?

    Un échec des politiques

    Un constat déjà fait en Grande Bretagne. Une enquête de 2012 y démontrait que 5,8 % des personnes de couleur consommaient de la drogue (contre 10,5 % pour les autres) mais étaient 6 fois plus contrôlées. Couleur de peau mise à part, les jeunes des banlieues pauvres sont plus souvent arrêtés que les autres. Les politiques anti-drogues menant donc à l’exclusion sociale d’une part de la population déjà défavorisée. L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies le confirme, la répression et la consommation ne sont pas liées ; augmenter l’une ne réduit pas l’autre.

    Le même observatoire attribue 9200 décès en 2020 à des surdoses de drogues. Un chiffre en progression dans toutes les tranches d’âge. Et ce alors que les législations dans ce domaine se sont durcies. A l’inverse, de la stratégie du Portugal. A la fin des années 90, près d’1% des Portugais (100 000 personnes) étaient accros à l'héroïne, ce qui s’accompagnait d’une mortalité record du SIDA. En 2000, le pays a décriminalisé tous les consommateurs. Depuis, le nombre de toxicomane a diminué de moitié en 15 ans. Aujourd’hui, à peine 2 % des Portugais prennent de la cocaïne contre 8 % des Espagnols. Le Portugal compte 5 fois moins de morts par overdose que la moyenne Européenne. Autant de sources d’inspiration pour ce problème de santé public qui monte aussi en France.

    « Les toxicomanes doivent recevoir de l’aide, pas une sanction. »

    En France c’est bien connu, « la drogue, c’est de la merde »

    Et les drogués ? Tout laisse penser que la France les place dans la même case. Un fumeur de joint saisi par la police peut écoper d’un an de prison et de 3 750 € d'amende dans le pire des cas. Près de 130 000 personnes ont été arrêtées l’an dernier pour usage de stupéfiants et les tribunaux les traitent comme des automobilistes en excès de vitesse. L’obligation de suivre une thérapie a été requise dans à peine 3 % des cas en 2019 par le parquet de Paris ; contre 14% en 2005.

    Une fermeté que le ministre de l’intérieur ne compte visiblement pas changer alors qu’elle n’a donné aucun effet depuis des années : le taux de poursuite des consommateurs au pénal a augmenté de 17 points (15 % à 32%) en 15 ans. Du jamais vu.

    Que faire face à cet échec ? Comment mettre fin à la délinquance et aider à dépasser la dépendance ? Dépénaliser bien sûr, c’est à dire renoncer à punir pénalement la consommation de stupéfiants. Mais cela ne signifie pas autoriser la vente.

    Quatre pistes à suivre pour la France

    1. Reconnaitre la consommation personnelle : L’Italie a ainsi décriminalisé l'usage de stupéfiants, ce qui ne l’empêche pas de faire la guerre aux trafiquants, qu’ils vendent dans la rue, en ligne, ou aux frontières… Pour stopper le trafic, l’Espagne, punit toute consommation dans un lieu public comme un délit passible de 600 à 30 000 euros d’amende.

    2. Fixer un cadre : En fixant des seuil maximaux de détention de chaque drogue. Le projet de loi norvégien – finalement retoqué pour des raisons électoralistes entre centristes et libéraux au pouvoir – limitait la détention d’héroïne et de cocaïne à 2 grammes, ou 20 grammes pour le cannabis et classait en trafic la possession de plus de 3 substances différentes.

    3. En laissant les tribunaux juger librement comme l’ont fait l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Là-bas, une première comparution est souvent traitée comme un avertissement plutôt que comme une peine… pour être ensuite plus ferme en cas de récidive.

    4. Offrir une réponse thérapeutique systématique. Sans quoi la drogue reste un recours des classes populaires quand tout le reste échoue. L’addictologue portugais João Goulão, recentre le débat : « Le plus important, c’est la relation que le sujet entretient avec la substance et non la substance elle-même. » Prohibée, la substance ne devrait même pas se trouver en France ; mais la relation, elle, doit être traitée en tendant une main et non un poing.

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