Les trottinettes en libre-service sont-elles aussi polluantes qu'on le croit ?

Le dimanche 2 avril 2023, les Parisiens ont voté à 89,03% contre le renouvellement des contrats qui liaient la ville aux opérateurs de trottinettes en libre-service. Pourtant, ces engins qui favorisent la micro-mobilité sont considérés comme écologiques. Alors, info ou intox ? On fait le point sans avoir la tête dans le guidon.
  • C’est voté : à partir du 1er septembre 2023, il n’y aura plus de trottinettes en libre-service — celles des opérateurs Lime, Tier et Dott — dans la capitale. Depuis leur arrivée à Paris en 2018, elles avaient pourtant convaincu les habitants, soucieux de se déplacer plus rapidement en ville. Et parmi les arguments en faveur de la trottinette électrique, il y a celui de l’écologie : sur le papier, elle est dite "écologique", et donc bonne pour la planète. Mais en réalité, c’est un peu plus complexe que ça.

    Les études et la littérature scientifique sur le sujet des trottinettes en libre-service ne sont pas très denses. Et les conclusions entre les enquêtes menées par les opérateurs et celles des universitaires ou des chercheurs spécialisés n’aboutissent pas aux mêmes résultats.

    Que disent les spécialistes ?

    En France, selon les recherches menées par Anne de Bortoli, chercheuse en carboneutralité et durabilité des transports et infrastructures, les trottinettes ont bien « quelques faiblesses, mais leurs atouts pour l’environnement sont aussi nombreux », comme elle l’écrit sur The Conversation. Au début, en 2018, la chercheuse avait estimé qu’une trottinette en libre-service émettait 109 grammes de CO2 équivalent par kilomètre, soit « trois fois moins que le taxi, mais dix fois plus que le vélo personnel ». Deux ans plus tard, en prenant en compte l’amélioration des engins (batterie amovible, longévité augmentée, etc.) et le fait que la recharge des batteries était devenue moins gourmande, le tableau s’était éclairci. En 2020, selon Anne de Bortoli, les trottinettes n’émettaient plus de 60 grammes de CO2 équivalent par kilomètre. Une situation qui évolue constamment et qui s’avère compliquée à suivre, comme elle l’écrit :

    « Néanmoins, difficile de suivre l’empreinte carbone véritable des différents services partagés proposés à Paris, car les opérateurs communiquent peu, ou mal, sur les données nécessaires à l’évaluation environnementale – notamment la durée de vie véritable des trottinettes, leur devenir en fin de vie, et les caractéristiques de la gestion de flotte. »

    Car pour prendre en compte le bilan carbone des trottinettes, il faut compiler plusieurs données allant de l’extraction des matières premières utilisées au cycle de vie de l’engin en passant par la conception des composants, le recyclage, la recharge, la revalorisation des déchets, etc. « La batterie lithium-ion et le cadre en aluminium sont les composants ayant le plus d'impact d'un point de vue environnemental. L'aluminium a un impact particulièrement important, car il représente près de la moitié du poids du véhicule et sa production est très énergivore », explique Anne Aguiléra, chercheuse au Laboratoire ville mobilité transport (LVMT) de l'Université Gustave-Eiffel, interrogée par Slate

    Que représentent 60 grammes de CO2 équivalent par kilomètre par rapport à d’autres modes de transport ? Comparé à la marche, au vélo personnel (classique ou électrique), au métro, au RER ou à la trottinette personnelle, le bilan est plus lourd. Hormis la marche, les autres sont estimés à environ 12 grammes de CO2 équivalent par kilomètre. Mais par rapport au taxi (300 grammes), à la voiture (200 grammes) ou au bus diesel (120 grammes), la trottinette en libre-service émet moins de CO2. 

    Les trottinettes en libre-service sont donc à un niveau intermédiaire entre le métro et la voiture. Mais si elles peuvent être une porte d’entrée vers l’acquisition d’une trottinette personnelle — qui elle sera plus écologique — la chercheuse a remarqué que les Parisiens utilisaient les trottinettes en free-floating pour réaliser des trajets qui étaient effectués auparavant en métro ou en RER (pour 60%) ou alors à pied ou à vélo (22%). En résumé, la trottinette se substitue à un mode de déplacement plus vert. Bilan : les trottinettes auraient été responsables en 2019 de « 13 000 tonnes de CO2eq supplémentaires dans la ville. Mais rappelons que les 2,1 millions de Parisiens émettent environ 20 millions de tonnes de CO2eq chaque année. Les trottinettes partagées auraient donc alourdi le bilan carbone de la ville de Paris de… 0,015 % », écrit la chercheuse.

    Les chiffres sont ceux de 2019, moment où les trottinettes étaient plus émettrices de CO2 que maintenant. Avec les trottinettes améliorées de « seconde génération », le bilan au niveau des émissions de CO2 serait aujourd'hui positif, avec « une économie annuelle de 7 400 tonnes de CO2eq grâce à ces véhicules, par rapport à une situation sans eux. »

    Une décision incohérente ?

    Du côté des opérateurs, qui vantent l’aspect vertueux de leurs trottinettes, les résultats sont différents. Par exemple, Dott indique que ses engins émettent 30 grammes de CO2 équivalent par kilomètre. Le groupe ambitionne d’ailleurs d’atteindre les 20 grammes d’ici 2025, comme il est écrit ici. Pour eux, les trottinettes consomment « 10 fois moins qu’un scooter électrique et 100 fois moins qu’une voiture électrique ». Des résultats beaucoup plus satisfaisants qui se rapprocheraient du vélo ou des métros. Mais ces résultats sont à nuancer : « des études évaluent l’empreinte carbone des trottinettes autour de 50 grammes de CO2 équivalent par kilomètre parcouru (gCO2eq/km), d’autres disent plutôt 109 ou 250, soit un rapport de 1 à 5 entre les études optimistes et pessimistes », explique au Monde Mathieu Chassignet, ingénieur spécialiste des mobilités. 

    Les opérateurs comme Anne de Bortoli s’accordent sur un point : l’interdiction des trottinettes en libre-service n’est pas la bonne solution pour réduire les émissions de CO2. « À la lumière de toutes ces informations, interdire les trottinettes électriques en libre-service semble ainsi incohérent et contre-productif », résume ainsi la chercheuse. Et les chiffres de 2021 sur l’achat de trottinettes personnelles étaient prometteurs pour la suite puisque 908 000 engins avaient été vendus en 2021 en France, selon la Fédération des professionnels de la micro-mobilité (FP2M). La bonne nouvelle, c’est que celles-ci ne sont pas (encore) interdites à Paris.

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