2023 M08 7
Comme les questions de genre et de sexualité sont devenues centrales dans nos sociétés, il semble désormais pertinent de mener les mêmes réflexions sur le monde animal.
Récemment, des documentaires — comme celui intitulé Nature Queer réalisé par Vinciane Despret, philosophe des sciences et spécialiste du comportement des animaux à l’université de Liège — ou des expositions — comme Queer — La diversité est dans notre nature qui a eu lieu au musée d’histoire naturelle de Berne en 2021 — mettent en lumière des aspects de la vie amoureuse et sexuelle des animaux qui reflètent aussi nos comportements, à nous les humains. Parmi les questionnements du moment, une interrogation : les animaux peuvent-ils être queer ? La réponse est claire : oui.
À propos de l’exposition Queer — La diversité est dans notre nature, sur le site du musée d’histoire naturelle de Berne, on peut lire qu'elle « jette un regard détaillé sur la diversité de genre dans le monde animal (changement de genre, hermaphrodites, conception virginale, un ou mille organes sexuels). On y découvre par exemple le poisson-clown, qui peut changer de sexe sur commande, le lézard Darevskia, chez qui il n’existe pas de mâles, ou le schizophylle commun, un champignon avec plus de 23 328 organes sexuels […] Les comportements homosexuels sont aussi abordés ici : ils sont largement répandus dans le monde animal et ont été observés chez plus de 1500 espèces. »
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— Kissing Animals Daily (@AnimalsSmooch) July 18, 2023
Le documentaire Queerying Nature, réalisé par Aline Magrez et Leonor Palmeira, met aussi en lumière la diversité comportementale du monde animal. Dans le trailer, elles prennent l’exemple du lézard fouette queue, une espèce uniquement composée de femelles. La reproduction se fait sans fécondation, mais par parthénogenèse (voir ici). Néanmoins, cette espèce ne délaisse pas pour autant les ébats amoureux, qui aideraient à déclencher l’ovulation. Au travers de ces exemples et d'œuvres qui s'intéressent aux comportements des animaux, l'idée n'est pas de rassurer les membres de la communauté LGBT+ sur leurs choix, mais plutôt de mener des réflexions.
« Comme le souligne l'une des intervenantes, prendre exemple sur le monde animal n’est pas forcément la meilleure voie à suivre. Ni les personnes homosexuelles ni les personnes transgenres n’ont besoin des manchots ou de bonobos pour justifier ou légitimer leur existence. Et à l’inverse, le monde animal est trop souvent utilisé pour justifier des comportements humains répréhensibles (hiérarchie entre les sexes, etc.). Le film choisit plutôt d’envisager la queerness de la nature comme un point de départ des plus stimulants, qui ouvre le champ des réflexions et des considérations », écrit la RTBF.
Ces exemples permettent aussi de remettre les choses à plat, dans le sens où certaines pratiques sexuelles et certains comportements, souvent associés aux communautés LGBT+, ont été décrits comme contre-naturels ou anormaux alors qu’ils sont présents dans la nature depuis longtemps.
Début mars avec mon groupe de nageurs, on part à Berne visiter l'exposition "Queer – La diversité est dans notre nature" !https://t.co/EsYhIzl0dZ pic.twitter.com/D3T5akGncH
— benjmagie (@benjmagie) January 18, 2023
Dans le monde animal, où la sexualité est associée à la reproduction, quid de la masturbation ? Eh bien elle concerne presque tous les mammifères. Chez certains, comme chez les singes, la masturbation aurait deux objectifs : renouveler le sperme pour avoir du « liquide frais » lors de l’accouplement, mais aussi augmenter l’excitation avant un rapport, et donc augmenter les chances de féconder. L’éjaculation permet aussi de nettoyer l’urètre — le tuyau dans lequel passent l’urine et le sperme — afin, aussi, de se prévenir des infections sexuellement transmissibles. L’acte est ici utile à la reproduction. Mais chez les gorilles femelles par exemple, la masturbation n’aurait pas de rôle dans la reproduction et serait simplement un acte qui donne du plaisir.
On se touche, on se paluche
Il y a plus de 20 ans déjà, le primatologue Frans de Waal s’était intéressé à la vie sexuelle des bonobos. Au sein de leur groupe, les relations se forment grâce à deux choses : le toilettage et le contact sexuel, comme l’explique Libération ici. Les femelles se font des bisous sur la bouche, se touchent entre elles pour créer des contacts ou pour apaiser les tensions… « Elles se frottent mutuellement le clitoris à raison d'une moyenne de 2,2 mouvements latéraux par seconde, soit au même rythme que les coups de rein du mâle. Ce comportement est appelé friction GG (pour génito-génitales). Tous les spécialistes de bonobos l'ont observé, il est propre à cette espèce », détaille l’article. Il y a d’autres exemples comme celui-ci. Par exemple les femelles dauphins aiment stimuler le clitoris de leur voisine avec leur bec ou leurs nageoires. Chez certains ours, comme ici en Croatie, la pratique de fellation est commune entre mâles, et ce, plusieurs fois par jour.
Écureuils, chauve-souris, morses… la liste est longue. Et la masturbation est un acte important : « le plaisir sexuel serait central pour toute la chaine animale », a confié le biologiste Thierry Loder, auteur de l’ouvrage Histoire naturelle du plaisir amoureux, au site de Geo.
Certains comportements genrés se retrouvent dans toutes les sociétés humaines et chez nos plus proches parents, les chimpanzés et bonobos, pointe le primatologue Frans de Waal dans “Différents. Le genre vu par un primatologue” (@editionsLLL ) pic.twitter.com/4mFdevdJAC
— Télérama (@Telerama) September 20, 2022
C’est extrêmement rare, mais certaines espèces animales arrivent même jusqu’au divorce. Chez les Taeniopygia, une espèce d’oiseau que l’on peut observer en Australie ou en Indonésie, si la femelle n’aime pas le nid que son « mari » lui a trouvé pour vivre, elle peut décider de trouver le sien seule, et donc élever les petits dans deux nids différents : celui du papa et celui de la maman. « Le plus souvent, cependant, l'incompatibilité des préférences en matière de nidification laisse présager une issue plus décisive : le divorce », explique Kerianne Wilson, biologiste évolutionniste, dans cet article. Chez le Douroucouli d’Azara — un primate —, le divorce peut survenir quand d’autres singes plus agressifs arrivent dans un groupe et perturbent l’équilibre de celui-ci.
Bref, tous ces exemples chez les animaux doivent surtout nous rappeler une chose primordiale qu'on a tendance a oublié : l'humain est aussi un animal. Et peu de choses nous diffèrent d'autres espèces. Surtout pas notre sexualité.