Pour éviter les pénuries d'eau, faut-il faire payer ceux qui la gâchent ?

Alors que les sécheresses se multiplient dans le monde, la moindre perte d’eau doit être évitée. Mais suffit-il d’inventer de nouvelles amendes pour résoudre le problème ? Les experts en doutent.
  • "Interdit d’ouvrir le robinet". Voilà la restriction d'eau courante imposée aux 700 habitants d'un village des Alpes-Maritimes, depuis le 17 juin dernier par arrêté municipal. Le niveau de la source baisse dangereusement et trop vite pour qu’on continue à y pomper sans mettre en danger l’environnement. A la place, la mairie fait distribuer des bouteilles d’eau.

    Plus souvent émis par les préfectures, ces arrêtés interdisant de gâcher l’eau en lavant sa voiture, ou en remplissant sa piscine, reviennent chaque été. Au 22 juin, 48 départements avaient déjà instauré un arrêté de restriction, dépassant donc le stade de l’appel à la vigilance. Dans ces zones, le préfet et ses agents habilités peuvent décerner des amendes allant jusqu’à 1500 € aux arroseurs irresponsables.

    Rappelons que seulement 2,8 % des eaux sur Terre sont potables. Tous ces arrêtés cherchent à éviter ou repousser le pire, c’est-à-dire la pénurie d’eau ; pourtant les projections du ministère de la Transition écologique affirment déjà que cela ne suffira pas. La sécheresse est classée comme « très probable » pour une vingtaine de départements et « probable » pour près de cinquante autres.

    Or, le problème est structurel et voué à se répéter avec le réchauffement climatique. On observe déjà en France une baisse des niveaux des rivières et des lacs, et la précocité des épisodes de canicule n’aident en rien à remplir les nappes phréatiques exsangues. La durée des sécheresses s'est allongée de 29 % au cours des deux dernières décennies. Plus souvent, plus longtemps et hors saison... Une prise de conscience est nécessaire. C’est dans ce contexte de rareté que les questions de généraliser ces sanctions tout au long de l’année se posent. Mais alors, que punir et comment ?

    Gâchis : mode d’emploi

    Avant toute mise en place d’une sanction face au gâchis d’eau, il faut choisir une cible. Qu’espère-t-on améliorer ? Car les menaces pesant sur l’eau potable sont multiples : la surconsommation, la pollution, les pertes... Ainsi, les premiers consommateurs d’eau en France sont les exploitants agricoles.

    On estime qu’ils pèsent pour 70 % de la consommation mondiale, pour produire indifféremment céréales, fruits et légumes, mais aussi pour l’élevage et les fibres des textiles. Alors, couper le robinet ne risque-t-il pas de générer des tensions alimentaires ? 

    Une solution, esquissée par le GIEC dans son rapport de 2019, consisterait à développer la récupération et le retraitement de l’eau, notamment pluviale pour alimenter les champs. Un premier pas législatif a déjà été fait sous le mandat précédent, pour alléger les normes de stockage d’eau, mais des subventions aux irrigations subsistent, reliques d’une époque où il fallait intensifier la production française. Un encouragement à consommer de l’eau qu’a dénoncé le « Monsieur Eau » de la Confédération paysanne à l’occasion du lors du Tribunal des Générations Futures organisé par Usbek & Rica.

    Douches, WC et robinet ouvert pendant la brosse à dent… les particuliers aussi usent énormément d’eau. La directrice du Centre d'Information de l'Eau, Marillys Macé, rappelait au Parisien que notre génération en utilise 8 fois plus que nos grands-parents. Les pratiques peuvent donc être améliorées, mais comparativement à d’autres secteurs, les particuliers en perdent peu.

    Le principal problème qui touche la population est simplement qu’elle grossit rapidement, alors que les ressources en eau sur terre stagnent. Par contre, ce sont nos circuits d’approvisionnement qui posent problème.

    Où sont passés les tuyaux, les tuyaux ?

    Mis en place dans les années 60, l'essentiel du circuit de distribution d’eau en France est si vétuste que 20 % de ce qui y transite est perdu avant d’arriver à un robinet. Un décret visait à rénover ce réseau vieillissant et réduire les pertes ; voté en 2013, il n’est guère avancé puisque le raccordement de 10 % des Français n’est toujours pas aux normes exigées et que les réparations de ces équipements enterrés sont trop coûteux.

    retraiter eau du robinet

    Quelle solution ? Obliger les collectivités et résidences à installer des détecteurs de fuites ? Rendre payant le gâchis ne conduira qu’à l’autoriser pour ceux qui paient. En outre, cela reporterait la responsabilité (et l’investissement) sur des bailleurs et des copropriétaires. A l'opposé, l’Allemagne et les Pays-Bas encouragent la récupération d’eaux pluviales chez les particuliers. Un système qui mérite d’être développé dans l’habitat public chez nous pour impliquer les citoyens dans cette transition durable et qui se révèle peu coûteux face aux dépenses structurelles d'entretien et de remplacement.

    Si ça coule, ce n'est jamais cool

    Alors que faire ? On évoque souvent la possibilité de séparer l’eau potable d’une eau « de lavage », utilisable pour les WC, les lave-linge et les jardins. Mais l’investissement et la mise en place de ce réseau parallèle à l’échelle nationale serait trop long et trop onéreux. 

    Restreindre et sanctionner les dépassements, ou organiser une tarification progressive (où le prix du litre augmente avec le volume) aura pour effet à long terme de limiter les consommations de chacun, comme cela se fait en taxant les déchets par exemple. Mais cela ne permettra ni de développer des alternatives ni de changer les comportements pour aller vers une sobriété, en exigeant par exemple des équipements économes : des toilettes sèches, des lavages auto sans eau…

    Le premier pas, c’est peut-être celui de la ville de Lyon, qui a décidé de reprendre la main sur sa distribution (jusqu’alors en délégation). Elle ouvrira sa régie publique dès janvier 2023. L’avenir nous dira si cela motive les élus à stopper les pertes et inciter chacun à surveiller ses consommations. Car c’est là l'étape la plus urgente.

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