Pourquoi le biomimétisme est notre meilleur allié face à la pandémie

Dans le livre « Bio-inspirée une autre approche », dirigé par Gauthier Chapelle et Kalina Raskin, le message est clair : l’étude de la nature est une « nécessité générale ». Le vivant, défendent-ils, peut et doit servir de référence pour faire face aux crises actuelles... et futures.
  • Depuis le 18 septembre 2020, la Cité des sciences et de l’industrie à Paris héberge une nouvelle exposition permanente intitulée « Bio-inspirée une autre approche ». Un catalogue du même nom est également disponible et se présente comme une excellente entrée en matière pour découvrir les enjeux et possibilités offertes par le biomimétisme. Bio, pour vie, mimétisme, pour mimesis, imiter. Imiter la vie. C’est une femme, Janine Benyus, qui a nommé ce concept avec son livre Biomimicry : innovation inspired by nature publié pour la première fois en 1997.

    Qu’il s’agisse d’alimentation, d’énergie, d’habitat ou encore d’économie, les visiteurs sont amenés à se remettre en question et découvrir les différents écosystèmes de la Terre. L'appel est à la fois heureux et grave : « […] Toutes nos façons d’être doivent être éco-inspirées, sous peine de ne plus avoir d’avenir », met alors en garde François Léger, ingénieur agronome, enseignant-chercheur en agroécologie à AgroTechParis.  

    Ce que le vivant nous apprend

    Choisir le biomimétisme comme modèle de développement implique de sortir de l’anthropocentrisme, c’est-à-dire de penser que tout tourne autour de l’humain, alors que ne sommes qu’une partie de l’écosystème terrestre. « À chaque respiration, on dépend du reste du vivant », résume pour Les Eclaireurs Gauthier Chapelle, cofondateur de Biomimicry Europa, ingénieur agronome et docteur en biologie.

    C’est aussi comprendre que nous avons en fait une « médiocre perception de la biodiversité », écrivent les auteurs de Bio-inspirée une autre approche. Nos connaissances sont infimes comparé à ce que la Terre compte comme espèces différentes. Sur plus de 10 millions estimées sur Terre, moins de 2 millions sont répertoriées et une infime portion étudiée.

    Ce que le vivant nous apprend, c'est de faire des économies : en éléments et en énergie, mais aussi en déchets, notion qui n’existe pas dans la nature – d’où l’adage de Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

    Selon les auteurs, nous devons nous reconnecter à l’écosystème Terre : et donc arrêter de suivre le modèle de croissance infinie dans un monde limité en ressources. Christophe Goupil, physicien, professeur à l’université de Paris (Diderot), directeur-adjoint du laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) le rappelle : « Une seule espèce – la nôtre – consomme grâce aux énergies fossiles – donc mortes », en dépassant les réserves disponibles.

    Les principes du vivant comme référentiel

    Que ce soit en « biologisant la question » – à partir d’un problème on le reformule pour voir ce que le vivant peut apporter comme réponse – ou en observant les écosystèmes pour s’en inspirer – par exemple la façon dont les forêts se relèvent ou s’adaptent après un incendie –, la recherche en biomimétisme offre des perspectives immenses.

    Comme le souligne Gauthier Chapelle, « le biomimétisme n’est pas que technologique mais c’est une vision écosystémique », autrement dit il sert de sources d’inspiration aussi pour les rapports sociaux ou les modèles économiques. « Les principes du vivant qui ont servi de colonne vertébrale à l’exposition peuvent être mis sur la porte de son frigo pour prendre des décisions : ne pas utiliser de substances toxiques qui s’accumulent, se servir local, utiliser les énergies avec sobriété et efficacité, la coopération plutôt que la compétition. C’est beaucoup de bon sens, mais combien de fois on ne fait pas attention à ça ? »

    La France rattrape son retard

    En décembre, la Biomim’Expo, grand salon dédié au biomimétisme, mettra en avant les acteurs et actrices de ce champ pluridisciplinaire. Kalina Raskin est directrice générale du Ceebios, le centre d’études & d’expertises dédié au déploiement du biomimétisme en France. Elle observe depuis quelques années sa montée en puissance : « C’est ce qu’on attend en ce moment, dit-elle. L’humanité a besoin de se réinventer. Le vivant comme modèle peut constituer une nouvelle référence de développement. »

    « Souvent un ou deux principes du vivant sont satisfaits mais pas les autres. Si vous imitez la forme mais qu’elle justifie des métaux rares et du pétrole, ce n’est pas durable à terme. (Gauthier Chapelle) »

    Du « truc sympa » à l’intérêt stratégique d’entreprises françaises, l’enseignement en a aussi mesuré son impact : deux premiers masters spécialisés ont été créés en France cette année. Mais, insiste Gauthier Chapelle, toutes ces innovations n’auront de sens que si elles s’inscrivent vraiment dans une approche systémique : « Souvent un ou deux principes du vivant sont satisfaits mais pas les autres. Si vous imitez la forme mais qu’elle justifie des métaux rares et du pétrole, ce n’est pas durable à terme et ce n’est pas compatible avec la biosphère. Toute innovation encore dépendante des combustibles fossiles est une perte de temps par rapport à ce dont on a besoin. »

    Gauthier Chapelle voit dans le biomimétisme une occasion de se réconcilier avec la planète : « C’est une condition sine qua non pour qu’on s’en tirer. Nous [les humains, ndlr] sommes des petits jeunes, écoutons les autres espèces et respectons-les. » Kalina Raskin le rejoint et ajoute : « Je ne regarde plus le vivant de la même manière. J’ai changé mon regard et je me pose des questions. On a perdu cet émerveillement. Quand on s’émerveille, on est plus créatif, plus humble et on protège mieux. »

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