Végétaliser les centres-villes : un vrai bénéfice pour les habitants ?

Des jardins sur les trottoirs, des plantes grimpantes aux murs, des arbres fruitiers dans les quartiers… Les citadins n’ont que l’embarras du choix depuis que les rues se végétalisent. On a interrogé ces mairies pour faire le point sur le succès et les bénéfices de ces actions.
  • Vous les avez vues, ces fleurs qui s’échappent du bitume pour escalader un mur de béton ? Depuis bientôt 10 ans, les villes ne se contentent plus d’entretenir les "espaces verts", elles laissent les riverains verdir les rues. Il s’agit parfois de les laisser planter, d’autres fois seulement de jardiner, et quelques fois même de récolter. On l’appelle “Visa Vert” à Marseille, "permis de végétaliser" à Bordeaux, mais le principe est toujours le même : une autorisation délivrée par l’hôtel de ville pour occuper une partie de l’espace public (façade, voirie…) en plantant un végétal et s’engager à l’entretenir. Objectif : remplacer du béton par de la végétation.

    Sous les pavés, la flore

    Pionnière, la ville de Lyon a autorisé en 2005 un jardinier à combler des fissures dans les enrobés en semant des graines de fleurs sur demande des habitants. En 2014, Grenoble donne le La en créant une charte, premier cadre légal à la végétalisation participative. L’année suivante, Paris suit l’exemple en autorisant citoyennes et citoyens à jardiner au pied des arbres ou dans des jardinières disposées sur l’espace public.

    Paris rue végétalisée (c) Sonia Yassa

    En 2019, Lyon étend son action en s’autorisant à casser le bitume et en impliquant ses équipes. Les "micro-implantations florales" deviennent des "Jardins de rue" ; les services municipaux apportent le décroutage, l’apport de terre, les semis… Des trous dans les trottoirs, on passe à des bacs séparés, des plants cultivés en centre horticole municipal d’une vingtaine d’hectares. L’an dernier, Grenoble a lancé une plateforme en ligne réunissant tous les projets auxquels les habitants peuvent donner un coup de main (verte) : potagers, arbres, jardins...

    Toutes les villes imposent deux conditions fortes. Le projet doit être demandé par un collectif (association, conseil de quartier, école…) pour assurer que la plantation sera entretenue. Quant aux variétés, elles sont sélectionnées minutieusement : pas de plante toxique ou invasive (Bordeaux interdit glycine, bambou et mûrier), les variétés doivent aussi être adaptées au terroir, résistantes au climat (températures, stress hydrique) et idéalement mellifères (propices à l’activité des abeilles).

    La ville est (enfin) une jungle

    A Lyon, l’opération est considérée comme réussie rien qu’en regardant les chiffres : au total près 3000 jardins de rue nés en 4 ans, et quasiment 10 % de plus sont prévus (285) pour cet hiver. « Si on les alignait bout à bout, nous explique l’adjoint au Maire de Lyon Gautier Chapuis, cela représenterait 12 kilomètres de verdure, ce n’est pas rien ! » Même nombre de permis délivrés à Paris, implantés dans 6 cas sur 10 au pied d’arbres. Ensembles, ils représentent 18 600 m².

    Densité obligé, la capitale s’illustre avec près de 1400 demandes par an. Comparativement, Grenoble ne comptabilise que 240 implantations, mais celles-ci incluent autant une plante grimpante de 25 centimètres de large que des potagers collectifs de plus de 100 m²… Mais même si l’engouement des habitants est flagrant, ces chiffres ne sont pas les plus importants. Ce qui compte, c’est l’impact de cette nature urbaine.

    « Le rôle de ces espaces est avant tout de favoriser l’appropriation du domaine public, avec tantôt une volonté d’embellir, tantôt de créer des espaces de convivialité » nous explique-t-on au service Nature en ville de Grenoble. Mais il y a mieux : des étudiants de l’École Supérieure d’Architecture des Jardins avaient déjà résumé les politiques de végétalisation à trois enjeux : le climat, la biodiversité et le bien-être humain.

    Des actions qui portent leurs fruits

    Pour le climat, on pense à l’absorption du CO2, et ce même si cet effet est difficile à constater. Il a bien lieu, mais les villes combinent beaucoup d’actions dans ce sens (interdiction des diesels, des chaudières fioul...), compliquant ainsi toute traçabilité. Reste que chaque plant assainit l’air localement parce qu’il libère de l’oxygène et fixe les particules au sol par hygrométrie.

    Les plantes réduisent aussi les îlots de chaleur. Gautier Chapuis: « Leur évapotranspiration rejette de l’humidité quand il fait chaud, donnant ainsi une sensation de fraîcheur. C’est un levier sur le thermostat ». Autrement dit : plus il y a de végétal, moins on a recours aux appareils pour se rafraîchir en été.

    La végétalisation soutient la biodiversité en créant des habitats et des couloirs favorisant le mélange des espèces animales. Lyon suit cette amélioration dans son atlas communal, suivi par la Ligue de Protection des Oiseaux. Paris a distribué des graines de graminée pour faire revenir les moineaux dans la capitale.

    Un espace jardiné absorbe aussi mieux les pluies qu’un pied d’arbre à la terre tassée et réduit le ruissellement induit par la minéralisation des sols. Dé-bitumer rend la ville perméable, limitant les dégâts des tempêtes et orages, plus nombreux avec le dérèglement climatique.

    Enfin, la nature en ville participe au bien-être, en offrant un cadre apaisant, propice à se promener (marcher est bon pour le cœur) plutôt que traverser en véhicule. L’OMS évalue la nature nécessaire à 10 m² par habitant pour être en bonne santé. Au minimum.

    Vert l’infini et au-delà

    On le voit, ces actions sont bénéfiques à plus d’un titre et les habitants les réclament. D’ailleurs, si les plants survivent, c’est que les riverains y tiennent. Signe des temps, Paris estime qu’en « impliquant les gens dans la gestion de la ville, le permis de végétaliser répond à une demande (…) de faire soi-même et d’apprendre ». Lille, La Rochelle ou Montpellier vont encore plus loin et ont commencé à débitumer les écoles.

    La prochaine étape ? Elle pourrait passer par votre assiette. En impliquant les citoyens dans les potagers locaux, on participe à la cohésion sociale (en jardinant ensemble) et à une sécurité alimentaire. « Lyon a planté 18 vergers municipaux, soit 1 par an par arrondissement. » Une façon de s’impliquer qui fait manger local, bio et en résumé... mieux.

    Rue végétalisée Bordeaux Belcier (cc)

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