2020 M11 18
À ce jour, seules deux méthodes d’inhumation sont légales en France : l’enterrement (uniquement autorisé dans un cercueil et au sein d’un cimetière) et l’incinération (les cendres doivent être déposées dans un lieu adéquat ou dispersées suivant un cadre très strict). Déçus par le manque de choix et le caractère polluant des sépultures dites traditionnelles, bon nombre de citoyens tentent d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’inhumation du futur. Avec, en ligne de mire, le respect de la terre, nourri par une philosophie de retour à Mère Nature.
Si la défense de l’environnement est lentement en train de faire son chemin dans les entreprises de pompes funèbres, avec ici des corbillards fonctionnant à l’électricité, là des cercueils vernis à l’eau ou encore des bières fabriquées en carton, « c’est tout de même le bois qui facilite la crémation. À défaut, il faut utiliser beaucoup plus de gaz… Finalement, ce n’est pas très écolo », estimait récemment dans Le Télégramme Richard Féret, directeur général de la Confédération des pompes funèbres et marbriers (CPFM). Tant que la loi ne changera pas, les options seront limitées, tournant autour des cendres ou du sempiternel choix du caveau.
Aux États-Unis, où la règlementation est plus souple en matière d’inhumation, ceux qui ne souhaitent pas finir "six feet under" ont le choix : la transformation des cendres en bijoux, l’immersion de ces dernières pour faire corps avec un récif corallien dans une urne en béton, leur envoi dans l’espace ou au cœur du feu d’artifice du 4-Juillet, tout est possible. Mais cela ressemble davantage aux derniers caprices d’un défunt "bling bling" qu’à une façon de revenir aux origines. De plus, il faut d’abord passer par une incinération en bonne et due forme.
Humusation, cercueils en champignon, capsules biodégradables, urnes… En France, des méthodes plus respectueuses et qui voient au-delà de nos habitudes pourraient bientôt voir le jour. Tour d'horizon.
Humusation : zéro pied sous terre
« L’humusation est le processus contrôlé de transformation des corps par les humuseurs (des micro-organismes présents uniquement dans les premiers centimètres du sol) dans un compost composé de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en douze mois, les dépouilles mortelles en humus sain et fertile », explique sur son site Francis Buzigny, un ancien chimiste dont la fondation, Métamorphose, se bat pour faire légaliser la méthode en Belgique. En 2018, après qu’une pétition eut recueilli plus de 20 000 signatures, les autorités wallonnes ont même lancé une expérience sur des porcs (menée par l’Université catholique de Louvain). Elle devrait permettre de répondre aux interrogations des pouvoirs publics en matière de pollution des sols – prétendument moindre que lors de la décomposition dans un cercueil, de durée du processus et de dégagement d’odeurs.
En théorie, au bout d’un an, le "super-compost" généré par l’humusation irait nourrir le jardin du défunt ou les champs alentour, afin notamment de faire pousser des arbres. On imagine alors des forêts entières où aller se recueillir, et l’on doit dire que l’image est tentante. Malgré cela, l’humusation est pour le moment autorisée dans un seul endroit sur la planète : l’État de Washington, sur la côte ouest des États-Unis, a voté en 2019 une loi permettant aux défunts de retourner ainsi à la terre.
En France, quelques fervents soutiens de la méthode belge apparaissent régulièrement dans les médias, promettant de braver la loi lorsqu’ils passeront de vie à trépas. En 2016, une sénatrice du Rhône, pressée par ses administrés, avait ainsi abordé le sujet lors des questions au gouvernement. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur de l’époque, avait alors promis « une réflexion approfondie qui pourrait se poursuivre dans le cadre du Conseil national des opérations funéraires ». Les partisans de l’humusation attendent toujours.
Cercueils en champignons : un cocon naturel
C’est une première mondiale : début septembre aux Pays-Bas, une femme de 82 ans s’est fait enterrer dans un cercueil non pas bâti mais… cultivé. Cette dernière demeure, fabriquée par la start-up Loop à base de mycélium, les filaments des champignons, ne mettra qu’un à deux mois pour disparaître, laissant le corps se décomposer en deux à trois ans, au lieu des dix habituels enfermé dans un cercueil classique en bois. Sans oublier les produits chimiques traditionnellement utilisés en thanatopraxie.
Bob Hendrikx est l’inventeur de ce "cocon vivant", qui ne met qu’une semaine à pousser. « Ce cercueil est en fait un organisme fabriqué à partir de la structure racinaire des champignons, les plus grands recycleurs de la nature », expliquait-il à l'AFP après les obsèques. Une participation au "cycle de la vie", qui ne pollue pas « l’environnement avec des toxines présentes dans le corps et tout ce qui est mis dans les cercueils ».
« L’inhumation, c'est l'équivalent 833 kilos de CO2 rejetés par enterrement, soit l’équivalent de 4023 kilomètres effectués en voiture. »
En effet, entre l’exploitation du bois et des matières premières, le béton des caveaux, les tombes en granit, le transport d’un défunt et la gestion d’un cimetière, l’inhumation s’avère être un choix éminemment polluant : 833 kilos de CO2 rejetés par enterrement, soit l’équivalent de 4023 kilomètres effectués en voiture ou 84% d’un aller-retour Paris/New York, selon un rapport récent de la Fondation Services Funéraires de la Ville de Paris. En résumé, 11% des émissions de CO2 d’un Français moyen sur un an !
« Une inhumation en pleine-terre sans monument a un impact écologique un peu inférieur à celui de la crémation », pointe aussi le rapport. D’où l’intérêt, à défaut de pouvoir être inhumé sans aucune enveloppe, d’accélérer le processus grâce au cercueil en champignons, qui ne contient aucune matière toxique (mercure, plomb et cadmium contenus dans le corps et rejetés dans le sol). Étant donné son caractère "traditionnel" en forme de cercueil classique, il ne serait pas étonnant de voir arriver très vite cette méthode dans nos contrées.
Capsules biodégradables : se réincarner en arbre
Si l’entreprise italienne Capsula Mundi prévoit à terme de mettre des corps entiers en position fœtale dans des capsules à échelle 1:1, pour faire naître des forêts issues de la décomposition des défunts, c’est encore illégal. Pour l’heure, la start-up se contente de présenter son projet, tout en proposant une autre option plus "acceptable" : une petite urne en forme d’œuf où déposer les cendres des personnes décédées, mélangées avec du terreau et une graine.
En France, face au flou juridique d’un telle méthode, la première forêt cinéraire de France a vu le jour à Arbas, dans le piémont pyrénéen en Haute-Garonne. Le conseil municipal local s’est mis d’accord pour faire d’un bout de forêt un "jardin du souvenir". Rappelons en effet qu’à défaut de les avoir dispersées dans la nature (en une seule fois, interdit de les diviser), il est également interdit de conserver les cendres d’un défunt dans une urne cinéraire chez soi. Depuis 2008, la loi française considère qu’elles doivent reposer dans des espaces aménagés au sein des cimetières, columbariums ou des jardins du souvenir.
Le concept de forêt cinéraire est né dans la tête d’Elia Conte-Douette, qui a créé Cime'Tree en Haute-Garonne, pour accompagner des clients désireux de trouver le repos dans la forêt, de l’achat de l’urne à l’emplacement final. « Nous plaçons ensuite une cordelette avec une feuille en bois indiquant le nom et les dates de la personne inhumée, avec des personnalisations possibles », expliquait-elle début novembre au Parisien. Forte d’une première forêt fonctionnelle, elle souhaite développer leur essor dans tout le pays, accompagnant actuellement d’autres communes.
« La loi doit évoluer, car cela répondrait à une forte demande. (François Arcangeli, maire d’Arbas, en Haute-Garonne) »
Mais ce n’est pas une sinécure : en théorie, les cimetières français doivent être clôturés. De plus, depuis 2008, la loi interdit la création ou l’extension de cimetières privés. La commune d’Arbas a donc dû étendre le cimetière communal à la forêt. Une vingtaine de défunts reposent depuis un an dans des urnes biodégradables en lin, enterrées au pied des arbres.
D’autres entreprises, à l’image d’Urne Bios, bien implantés en France, proposent à leurs clients de mélanger eux-mêmes les cendres des défunts avec du terreau et une graine de végétal, dans un réceptacle biodégradable, avant de l’enterrer au pied d’un arbre de leur jardin. Encore un paradoxe, la loi relative à la crémation et aux cendres funéraires l’interdit. Toutefois, dès lors qu’il s’agit de dispersion en pleine nature, avec ou sans arbre prêt à pousser, il faut demander l’autorisation à la mairie de sa commune, en indiquant notamment le lieu de naissance du défunt.
Comme le dit François Arcangeli, maire d’Arbas, « la loi doit évoluer, car cela répondrait à une forte demande ». Il est temps de revoir notre approche de la mort.