

Dans cette bibliothèque, on emprunte des gens discriminés et ils vous racontent leur vie
Chaque personne a vécu une histoire unique, et l’écouter est la meilleure façon de combattre les préjugés. C’est l’expérience que vous propose une ONG danoise.
2021 M06 24
« Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Vous connaissez ce proverbe ? Il est extrait d'un discours à l’UNESCO en septembre 1960 par l’ethnologue malien Ahmadou Hampaté Bâ, et qui réclamait à l'organisation internationale la sauvegarde des patrimoines culturels africains, jusqu’alors essentiellement de tradition orale. Mais l’image qui reste est que chaque homme emporte avec lui des connaissances propres. Et si nous pouvions les consulter comme des livres, nous serions plus riche de culture qu’en lisant tout ce qui a jamais été publié. Une utopie ? Sans doute, mais c’est quand même bien celle qui s’est incarnée dans le projet "Human Library", un projet qui veut briser les préjugés en donnant la parole à ceux qui les subissent.

Lesbienne, tatoué, juive et plombier
Le concept consiste donc à rassembler des « livres humains », soit une douzaine de personnes discriminées pour un facteur précis, qu'il soit social (chômage, militantisme, prison), médical (bipolaire, aveugle, dyslexique), culturel (immigré, couvert de tatouages, musulmane) ou personnel (obèse, homosexuel)… Autant de motifs qui suscitent la défiance et l’exclusion dans nos sociétés. Pour lutter contre cela, les « lecteurs » peuvent « emprunter » l’un d’eux pour une durée d’une demi-heure, le temps de l’écouter raconter son parcours, sans jugement, puis échanger avec lui ou elle.
A leur manière, les événements "Human library" sont assurément la seule occasion d’entendre une ancienne toxicomane, un réfugié sans papier, ou une personne transgenre. Car la réalité est toujours plus complexe que les cases à cocher des formulaires, comme vous l’expliquerait cette Australienne qui porte le voile, qui a perdu son époux, qui est plombière et avocate de formation.
‘As the CEO of Australia's first female plumbing company, my mission is to help every woman in the world to know they have choices to do whatever they want to do with their life.’ Find out more @GriffithUniversity Human Library 👉 https://t.co/v3z0j5f5tF pic.twitter.com/zIw1aCyOQ8
— Griffith Uni Library (@GriffithLibrary) March 10, 2018
Chaque livre est unique, chaque bibliothèque aussi
Le format a évolué selon les situations et lieux recevant la bibliothèque humaine. Parfois il s’agit plutôt d’une « lecture », sorte de mini-conférence où l’on vient écouter quelques invités se résumé devant leur audience. En France, on organise plutôt des mini-rencontres de 20 minutes ou des conférence d’une heure maximum. Mieux encore, en 2006 a ouvert en Australie la toute première Bibliothèque Humaine permanente, à Lismore. On peut y rencontrer toute l’année un descendant d’aborigène ayant réalisé sa scolarité dans une école de blancs, une femme opérée pour un cancer du sein et une nonne catholique.
Car oui, on ne vous a pas dit, mais depuis sa création, ce concept s’est répandu de par le monde. En 2020, 80 pays avait déjà accueilli un événement Human Library. L’expérience a même continué pendant les confinements avec des rencontres en ligne, en rassemblant 185 lecteurs.
La première ? C’était au Danemark, il y a presque 20 ans. Comme tous les festivals, il n’y a pas que des groupes de rock au Roskilde, mais également des associations qui tiennent des stands ou proposent des animations. Nous sommes en l’an 2000 et le directeur Leif Skov veut donner un tournant humaniste au nouveau millénaire, alors il donne carte blanche à l’association Stop The Violence pour trouver une façon de « remuer les festivaliers ». Comme le fondateur, Ronni Abergel l’a raconté dans son TED Talk, s’asseoir avec quelqu’un et « parler de ce dont on ne doit pas parler » était le meilleur moyen un truc pour «bâtir des relations, réduire la violence chez les jeunes ». Et l'époque nous rappelle combien c'est une urgence.
A l'image des"free hugs" qui véhiculent la tendresse, les "Human libraries" cassent les stéréotypes et les préjugés d'où naissent la haine et la violence. Aujourd'hui se multiplient les agressions racistes sur les livreurs de repas, les propos haineux pendant le ramadan et les violences à l’encontre des femmes. Sur les réseaux réseaux sociaux, les jeunes assistent à des violentes déferlantes d’insultes particulièrement basées sur des préjugés homophobes ou communautaires… et en résultent trop souvent des dépressions voire des tentatives de suicide. A l’heure où tombent les masques, il est grand temps de lâcher les claviers et se mettre à parler de vive voix avec ceux qui nous font peur, ceux qui nous échappent, ceux qui vivent une autre vie que la nôtre. Car comme le clame le fondateur de HUman Library depuis 20 ans : "On ne juge pas un livre à sa couverture".
«Aujourd'hui je défends une jeune fille de 18 ans, qui depuis 18 mois a reçu plus de 100 000 messages haineux et de menaces de mort [...] Moi je ne m'y fais pas, je ne m'en remets pas», Richard Malka avocat de Mila #MidiNews pic.twitter.com/lICFa56iUI
— CNEWS (@CNEWS) June 3, 2021