LinkedOut, un nouveau réseau social pour ceux qui n’en ont pas

Afin de lutter contre l’invisibilisation sur le marché du travail des personnes précarisées, l’association Entourage a imaginé un réseau social solidaire, au sein duquel les actifs partagent les CV de candidats dans l’incapacité de le faire.

Qui ne connaît pas LinkedIn, le "réseau social des professionnels" ? En version gratuite ou premium, il met en relation avec plus ou moins d’agilité employeurs et potentiels candidats motivés, depuis 2002. Très critiqué en raison de sa propension à faire ressortir le pire des dérives de la start-up nation, il est cependant relativement efficace pour qui sait se vendre, partager des posts inspirants et éditer un joli CV. Mais le principe d’un réseau social, qui plus est professionnel, c’est qu’il faut avoir… un réseau.

Ce n’est pas une nouveauté, la précarité invisibilise. Pour les personnes vulnérables ou sans domicile fixe, le lien social serait au moins aussi important que la nourriture ou le besoin de la chaleur d’un toit. C’est sur ce triste constat de mise au ban systématique de la société que s’est construite l’association Entourage, aujourd’hui forte de 14 employé(e)s et d’une multitude de bénévoles.

Depuis 2016, elle vient en aide aux personnes précaires en leur fournissant un réseau d’aide, qui va d’un guide à destination du public visant à "créer des relations de proximité et durables avec les personnes précaires" (les super vidéos didactiques de ‘Simple comme bonjour’, ci-dessous) à une application solidaire (Entourage Réseau Solidaire), en passant par une carte de France répertoriant les meilleures initiatives privées.

Si certaines personnes refusent les mains tendues et ne souhaitent pas (ré)intégrer le marché du travail, c’est un cliché de croire qu’il s’agit de la majorité des cas. Néanmoins, même avec un téléphone dans la poche (en admettant que ce soit un smartphone capable de surfer sur Internet), comment se construire une base de données et de contacts suffisamment solide pour revenir dans la société ? Quand famille et amis vous ont délaissé, que reste-t-il pour remonter la pente ?

"Nous nous sommes engagés auprès des entrepreneurs à proposer des profils fiables"

De fait, le dernier projet d’Entourage, le bien-nommé LinkedOut, allie l’humour des critiques anti-LinkedIn sur l’entre-soi à l’ingéniosité d’un vrai réseau collaboratif. Après avoir rencontré les personnes en demande et établi un CV (avec photo), les bénévoles les partagent sur le site et laissent la solidarité faire le reste. Il suffit en effet de s’y rendre, de passer en revue les CV par région et secteur d’activité, puis de partager les résumés de ces parcours atypiques à votre propre réseau via Facebook, Twitter… ou LinkedIn !

Si l’expérience est pour le moment limitée à la région Île-de-France et à Lille, ce n’est pas parce que le réseau de bénévoles d’Entourage est restreint à quelques villes de France : c’est aussi et surtout parce que LinkedOut a effectué un vrai travail de filtre en amont. Les bénévoles ont "recruté" les potentiels candidats sur le modèle d'une promotion de classe. Ces derniers faisaient déjà partie du réseau, ils suivront des formations et ont déjà un pied dans la réinsertion. Chaque candidat bénéficie même d’un coach bénévole, qui l’accompagne dans toutes les étapes du processus. "Sur les 15 candidats de la deuxième promo, nous avons eu 11 retours à l’emploi", explique Claire Duizabo, porte-parole du projet.

Dans les faits, passer directement de la rue à l’emploi est quasiment impossible. Cet article des Éclaireurs sur l’initiative rouennaise Un Toit vers l’emploi, visant à loger les SDF désireux de travailler dans des tiny houses mobiles, montrait récemment que les mécanismes de retour à l'emploi étaient grippés sans la stabilité d’une maison et un moyen fiable de se déplacer. Les candidats du moment chez LinkedOut ont donc déjà retrouvé un hébergement, même temporaire, et sont mobiles (au moins en transports en commun).

"Ces critères ne sont pas si faciles à réunir, promet Claire Duizabo. De plus, nous nous sommes aussi engagés, de notre côté auprès des entrepreneurs, à recommander des profils fiables, donc on se devait de filtrer. C’est pourquoi nous avons d’abord puisé dans le réseau Entourage en ce qui concerne le sourcing, avec l’aide d’ARES" (un groupe d'entreprises tremplins dont la vocation est de favoriser l'insertion de personnes en grande exclusion, ndla). Les gens qui faisaient déjà partie de nos communautés d’entraide sont aptes à travailler, et très motivés. On peut se permettre de les recommander, car ce sont de super éléments. »

Si l’association aide aussi des étrangers fraîchement arrivés en France, il leur est par exemple impossible d’accompagner des migrants qui n’auraient pas d’autorisation de travail, sans se mettre dans l'illégalité.  

"La précarité n’empêche pas le talent"

"Notre vocation n’est pas de remplacer les structures existantes, nous sommes juste une brique de plus" dans la construction d’une plus grande solidarité envers les SDF et les gens aux parcours difficiles. L’exclusion peut en effet porter plusieurs visages.

Parmi les 80 candidats dont on peut retrouver le CV complet sur le site de LinkedOut, des mères célibataires ou des jeunes un temps marginalisés, issus de la DDASS ou sans aucun réseau familial. "Le contexte de l'exclusion est important, parfois ça peut être simplement des difficultés d’accès au numérique", ajoute Claire Duizabo. Et comme les entreprises acceptent de moins en moins le dépôt de CV et lettres de motivation directement à leur siège, cette dématérialisation est un frein aux personnes sans ressources numériques.

L’esprit "promotion 2020" de la communauté crée elle aussi du lien entre les candidats, avec des formations en commun, des ateliers pour apprendre à se présenter lors d’un entretien professionnel, le prêt d’un costume ou d’un tailleur pour une interview, etc. Si le processus fut ralenti pendant la crise du Covid, cela n’a pas empêché les embauches. "Quand on est en précarité ou exclu, les chances de retrouver un job sont proches de zéro, car on est invisible. Or, la précarité n’empêche pas le talent." En partant de ce constat simple, LinkedOut fait des miracles.

Réseau utile pour les talents en rupture, solidarité facile pour les particuliers, bonne action pour les entreprises prêtes à s’ouvrir à la différence : l’initiative réunit trois solutions en une. Avec, ces dernières semaines, un partenaire de choix, lorsqu’Advens, une entreprise de cybersécurité dont le président, Alexandre Fayeulle, est fan de voile, a décidé de remplacer le nom de sa boîte par LinkedOut sur son bateau lors du Vendée Globe.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, leur skipper, le Français Thomas Ruyant, est arrivé 4ᵉ de la mythique course. De quoi donner à ce précieux parrainage solidaire un coup de projecteur inattendu. "Je voulais exploiter la puissance médiatique d’un événement comme le Vendée Globe pour générer de l’impact social", assurait dans la presse le PDG, en amont de la course. "Seize collaborateurs d’Advens sont même devenus des coachs, et l’entreprise a promis de recruter l’un de nos candidats", conclut Claire Duizabo, enthousiaste. La boucle vertueuse est bouclée.

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