

Ces codeuses détournent les jeux vidéo pour combattre le sexisme
Sur nos consoles, les clichés sexistes ont aussi la vie dure. Alors l’association Women in Games a trouvé un moyen de dénoncer ce manque de diversité : en détournant les héros masculins les plus connus pour les faire... tourner du cul.
2022 M03 28
Sales (stéréo)types. Le string ultra échancré de Chun-Li à Street Fighter ? Les armures wonderbra des guerrières de Warcraft ? Et la légendaire poitrine démesurée de Lara Croft dans Tomb Raider... Tous ces clichés bien machos du monde du jeu vidéo, vous les connaissez déjà, mais il y a pires : d’autres stéréotypes sont directement intégrés dans le code source de vos jeux favoris, et ils sont tellement fréquents que vous n’y faites plus attention.
Souvent relégués à des rôles secondaires dans le scénario, donnant juste un coup de main ou fondant d'amour, les personnages féminins sont affublés de doublages et d'animations qui les rendent débiles. Les filles marchent bizarrement, rient stupidement en regardant le ciel ou se claquent les fesses sans qu’on puise expliquer pourquoi.
Loving Lost Ark... HOWEVER
— Naguura (@Naguura) February 9, 2022
Anyone else notice the uhh.. *dainty* lady-like walks? pic.twitter.com/z8V6FdCike
Plus pernicieux encore, les animateurs leurs imposent des poses lascives et des démarches grotesques plus chaloupées qu’un ivrogne irlandais sortant d’un pub à la Saint Patrick. N’importe quoi pour qu'elles roulent des hanches et faire tanguer leurs poitrines... Ajoutez encore les cadrages au ras des reins, et la coupe est pleine.
Toutes les filles ne rêvent pas d’être Harley Quinn
Cette hyper-sexualisation est doublement nuisibles aux femmes. Les joueuses, réticentes à se projeter dans un personnage si ridicule, et les autres qui subissent les regards de joueurs biberonnés par ces clichés sexistes. Pour que justice soit rendue, un collectif de développeuses et pros du monde du jeu vidéo s’est dressé : Women in Games (WiG) a joué un drôle de tour en détournant des grands jeux, pour montrer aux fans ce que les programmeurs imposent aux personnages féminins qu’ils connaissent.
En reprenant le code des jeux, elles ont créé des « mods », c’est à dire des versions déformées, où les attitudes des filles sont appliquées aux mecs. Une inversion des rôles qu’on appelle un « gender swap ». Ce que ça donne ? Des scènes aussi risibles que gênantes [à voir à la fin de cet article], mais limpides.
Plutôt que poster une vidéo, des streamers et streameuses ont joué en direct aux jeux modifiés sur Twitch les 15 et 16 février dernier. Cette opération #GenderSwap a été menée avec l’agence BTC Paris, mais Women in Games s’active depuis déjà 5 ans à agiter le monde vidéoludique pour casser ces représentations toxiques et rétablir une parité. Car une fois le jeu éteint, le sexisme persiste dans les studios.
Rebooter la machine
Selon le rapport du syndicat des éditeurs de jeux (le SELL), 1 joueur sur 2 est désormais... une joueuse. Puisque 72 % des Françaises jouent aux jeux vidéo, ça en fait du monde. A l’échelle planétaire, on compte des centaines de milliers de gameuses ; pourtant moins d’un quart des employés des studios de développement sont des femmes (22%). C’est ce combat que veut gagner Women in Games, celui de la parité. Avec un objectif précis : doubler la part de femmes et personnes non-binaires dans le milieu en 10 ans.
Mais éveiller les consciences des joueurs ne suffira pas. C’est pourquoi le collectif s’est aussi donné pour mission d’améliorer la visibilité des femmes dans ce secteur, soutenir leur développement professionnel, communiquer auprès des jeunes filles pour les motiver à choisir cette orientation encore jugée trop technique et délaissée aux garçons, et combattre aux côtés des victimes de harcèlement et discrimination.
Le milieu du jeu vidéo n’ayant pas été meilleur dans son traitement des femmes que le cinéma, il a connu sa vague #MeToo en 2020, conduisant chez nous l’éditeur Ubisoft à enquêter sur le comportement de ses cadres.
Les développeurs de Mass Effect ont décidé de modifier certains angles de vue dans la Legendary Edition.
— JV - Jeux vidéo (@JVCom) February 6, 2021
Ainsi, à l'inverse du jeu de base, on ne verra plus les fesses de Miranda présentées de la sorte : pic.twitter.com/1bMMOKMgs8
Les institutions s’y mettent aussi et on commence à décerner des médailles. Les productrices Céline Tricart et Marie Blondiaux et la directrice de studio Rebecka Coutaz viennent d’être distinguées Chevalières de l’Ordre des Arts & des Lettres. Mais souvenons nous plutôt de Muriel Tramis. Cette Martiniquaise a reçu la Légion d'Honneur en 2018 pour avoir été la première femme noire game designeuse de l’histoire. Elle a en effet réalisé Méwilo, son premier jeu vidéo en 1987. Il aura donc fallu 30 ans pour reconnaître le talent de Miss Tramis... Espérons que la connexion ne rame pas trop pour Women in Games.
Crédit photo de une : Pexels / cottonbro