Zafer Kizilkaya Goldman prize

Pour sauver la Méditerranée, il oblige son pays à interdire la surpêche

Le combat que mène ce Turc depuis 15 ans a permis de faire renaître la biodiversité dans la Méditerranée, mer la plus surexploitée du monde. Pour ses efforts, il vient de recevoir un prix Goldman, qui décerne les « Oscars de l’écologie ».
  • Elle est en page d’accueil des agences de voyage sous le nom de “côte turquoise” et ce n’est pas abusé : au croisement de la mer Egée et la Méditerranée, cette côte idyllique de la Turquie alterne criques sauvages et plages scintillantes où s’ébattent tortues caouannes, de rares phoques et quelques requins gris au large. Un joyau naturel. Mais comme de nombreuses zones de Méditerranée, la côte turquoise dépérit.

    Des décennies de pêche intensive ont décimé les espèces de poissons qui vivaient là, ce qui, par effet domino, a fait fuir d’autres espèces et appauvri la flore. La mort de la biodiversité, en somme. Et même les touristes commencent à fuir… Mais tous les Turcs ne baissent pas les bras. En tous cas, pas Zafer Kizilkaya.

    Le Grand Bl...ême

    Ingénieur et chercheur en sciences de la mer, Zafer Kizilkaya a passé son enfance à rêver devant les documentaires de Jacques Cousteau. Après avoir travaillé en Indonésie comme chercheur et photographe sous-marin, il rejoint son pays natal en 2007 et trouve les abysses turques vides et mortes… « C'est comme si une guerre nucléaire s'était produite sous l'eau, décrit-il à CNN, il n'y avait aucune vie, les rochers étaient nus, il n'y avait plus de macroalgues… ».

    Un désastre qui touche tout autant les pêcheurs, voyant leurs filets plus vides chaque semaine. Mais leur faire comprendre qu’il faut restreindre leur activité n’est pas simple. En 2012, Zafer Kizilkaya monte l’association Akdeniz Koruma Derneği (la Société de préservation de la Méditerranée) pour les convaincre de devenir ses alliés et exiger des zones protégées où la nature pourra se régénérer. Sans quoi, il n’y aura bientôt plus rien à pêcher… D’autres partenaires locaux se joindront à son action qui aboutira après de longues années sur les tablettes du parlement turc.

    Sans filet (de pêche)

    En 2012, la toute première Aire Marine Protégée (AMP) du pays est décrétée dans la baie de Gökova. Les AMP sont des espaces incluant mer et littoral où la pêche est encadrée et certaines techniques trop destructrices interdites. Hélas les gardes-côtes sont trop peu nombreux pour surveiller les secteurs... Alors Zafer a proposé aux pêcheurs de se munir de caméras et de devenir leurs propres patrouilleurs pour alerter les autorités de la présence de braconniers ou de contrevenants aux règles. Et en quelques années, des pêcheurs d’autres secteurs sont venus constater l’évidence : la biodiversité renaissait de ses cendres.

    Montant le niveau, Zafer a réclamé l’extension de l’AMP en interdisant le chalutage et la pêche à la senne (qui attrape les poissons en surface) sur 350 km² auxquels s’ajoute une zone de 70 km² sans aucune pêche. Des exigences qui font tourner la tête. Pourtant le projet passe au vote en août 2020 et... est approuvé. Et ainsi, près de 500 kilomètres de côtes pourront ainsi revenir à la vie et attirer de nouveaux poissons.

    Pour couronner cette réussite et ses efforts pour la protéger la mer, Zafer Kizilkaya a reçu cette année un prix Goldman, prestigieux award de l'écologie qui récompense chaque année 6 lauréats ayant agi pour leur continent.

    Top chef

    Selon Blue Marine Foundation, qui surveille la protection des océans, le nombre de poissons au mètre carré a été multiplié par 10 en baie de Gökova depuis 2012, preuve que l’AMP remplit son rôle. Pour prolonger son action, Zafer a proposé aux chefs cuistots du pays de délaisser certaines espèces menacées au profit du poisson-lion, prédateur venu des mers plus chaudes depuis le réchauffement climatique qui supplante des espèces locales. Une façon de se débarrasser d’une menace en relançant l’économie puisque ce poisson invasif est bon marché…

    Ce qui a été fait en Turquie peut être répété sur chacune de nos côtes. Même si la Méditerranée est la mer la plus victime de la surpêche. Selon le WWF, à peine 7,4% du bassin méditerranéen est classé en Aires Marines Protégées, et moins de 0,04% fait l’objet d’une protection forte et surveillée… Tout reste à faire.

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