2022 M02 9
Elles sont une dizaine ; des mineures, certaines très jeunes. Des filles qui ont connu des parcours compliquées. Souvent la rue, parfois la drogue, toujours les violences... Et au bout, comme un point commun à leurs lignes de vie, la prostitution.
Un chemin de vie douloureux qui mène à la méfiance, au refus de toute aide, plus encore venant d’associations. Pourtant, cet hiver, chacune s’est portée volontaire pour une expérimentation : rester enfermée dans une structure d’accueil distante de leur ville, rurale, en déconnexion parfaite.
À Lille, un projet unique en France pour sortir les mineures de la prostitution avec @Solfa_asso. Trop fière de soutenir ce projet avec le fonds de dotation de Solfa et @LaRedouteFr ainsi que @boulanger, @Camaieu_France,… https://t.co/R3yXKEiG4n
— Nathalie Balla (@Nathalie_Balla) September 28, 2021
C’est l’association lilloise Solfa (Solidarité Femmes Accueil) qui leur a proposé cette expérience. L’objectif, explique Jean-Yves Jalain qui dirige le pôle Protection de l’enfance, est de les amener toutes « à penser à autre chose qu’à la prostitution ». Depuis quelques semaines, elles sont entrées dans ce refuge où elles resteront 6 mois. Aucune sortie n’est autorisée et les téléphones portables sont coupés. Le lieu est également tenu secret pour empêcher les visites importunes.
Il ne s’agit pourtant pas d’un enfermement mais d’une sorte de retraite pour se retrouver, se montrer au naturel, et finalement se reconstruire. A commencer par retrouver "un rythme de vie normé” pour celles qui ont travaillé de nuit trop longtemps et sont souvent en mauvaise santé, parce qu’elles ont été victimes de violences. Paradoxalement, derrière cette porte fermée commence un long chemin.
Mieux vaut prendre un râteau
Les 45 premiers jours font office de période d’observation pour tout le monde. Car les filles ne sont pas seules : une quinzaine de travailleurs sociaux de l’association sont présents pour organiser les activités et le travail thérapeutique, mais aussi des psychologues et éducateurs qui vont les guider au travers de ce vaste programme d’accompagnement.
Au planning, des activités manuelles, notamment au jardin potager ou en cuisine, mais aussi des activités sportives et collectives. Et des petits cours pour se préparer à l’après. Au retour en ville, à la confrontation avec les réseaux de prostitution ou simplement leurs familles. Parce que, 6 mois, c’est long quand on est enfermé ; mais pour construire un projet de vie, c’est court.
Malgré toutes les contraintes, ces jeunes filles ne sont pas ici contre leur gré ; au contraire, toutes ont adhéré à une charte en entrant. « Elles sont responsables de leur séjour » décrit Jean-Yves Jalain à France Bleu, lâchant le mot le plus important : responsable. Ici, chacune fait ce qu’elle veut sans être dirigée ni jugée ; d’ailleurs, si le but est bien de les aider à s’en sortir, personne ne juge le choix de ces activités prostitutionnelles. C’est ce que Solfa décrit comme un « accueil inconditionnel ».
Ecouter, accueillir, accompagner...
C’est la devise de Solfa, loin de tout paternalisme. L’association n’est pas d’hier (elle a été créée en 1947) mais sa mission est on ne peut plus d’actualité. Entre les harcèlements, les violences domestiques, les mineurs prostituées… les besoins d’aide ne manquent pas. Le « refuge » expérimental n’est qu’un de leurs dispositifs de soutien.
Désormais, la capitale du Nord possède pas moins de 6 structures pour venir en aide aux femmes en difficulté dont des CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Social), des logements réhabilités et disséminés dans la métropole, et la Maison d’Enfants à Caractère Social. Et c'est hélas, loin d'être trop face aux nombres de violences que subissent les femmes.
Si la presse a régulièrement évoqué les nombreux cas de violences domestiques et les féminicides, on a moins évoqué une tendance inquiétante en France : le développement de la prostitution des mineures.
Quitter l'école et devenir un produit
Selon le ministère de l’Enfance de de la Famille, au moins 7000 jeunes de 13 à 18 ans se sont vendus sur le marché du sexe tarifé l'an dernier. Selon les associations d'aides, elles pourraient bien être plus de 10 000. Le plus inquiétant est que là où hier, la prostitution était l'oeuvre de réseaux criminels, aujourd'hui elle est secondée par des proxénètes indépendants qui sont souvent des proches des collégiennes. Voire... leur petit copain.
Comme 7000 à 10 000 mineurs en France, sa fille est tombée dans la prostitution. Isolée, elle était sous l'emprise de son compagnon proxénète. Pour Brut, une mère se livre sur son long combat pour l'aider à en sortir. pic.twitter.com/hggNprqJxr
— Brut FR (@brutofficiel) September 10, 2021
L'Aide Sociale à l’Enfance de la Seine-Saint-Denis a observé une centaine d'entre eux et constate que ces jeunes filles sont souvent aussi consommatrices de produits stupéfiants, ont été violentées dans 99 % des cas et leur entrée dans la prostitution s'accompagne d'une déscolarisation et de fugues. Un phénomène social toxique.
Face à cette recrudescence, le gouvernement a dégainé un plan d'aide de 14 millions d'euros pour soutenir les acteurs sociaux et lancer une grande campagne de prévention en milieu scolaire. C'est grâce à ces fonds que Solfa a pu ouvrir sa structure expérimentale et maintenir un autre hébergement d'urgence pour les mineures. L'association lilloise muliplie les actions pour ne pas les laisser sans aide dans ces situations dramatiques. Même s'il suffirait que les hommes changent de regard sur leurs consoeurs pour que ces drames n'arrivent plus. Mais c'est une autre campagne.
Pour les soutenir ou faire un don, rendez-vous sur solfa.fr