Qui est Katalin Kariko, la mère des vaccins anti-Covid-19 ?

Sans cette Hongroise de 65 ans et sa détermination, pas de vaccin contre le coronavirus. Car celle qui a perfectionné la technique l’ARN messager – utilisée par Pfizer et Moderna – a d’abord dû déjouer les clichés machistes. Portrait.
  • Avant d’inspirer tous les vaccins qui mettront fin (un jour) à la pandémie mondiale de Coronavirus, Katalin Kariko a dû s’accrocher et surpasser nombre de barrières. Techniques, sociales et... sexistes. Car les scientifiques aiment les règles immuables et le rôle des femmes en fait (hélas) partie.

    Née en Hongrie en 1955, Katalin grandit dans la pauvreté du régime totalitaire de l’époque : ni frigo à la maison, ni eau courante. Studieuse et passionnée d’anatomie, elle commence donc ses études sur… des porcs que son père boucher ramène du travail.

    « À chaque annonce de prix Nobel, ma mère s'attendait à ce que mon nom soit prononcé. Je me moquais d'elle en lui rappelant que je n'avais même pas obtenu une bourse. »

    Sa carrière de biochimiste démarre vraiment dans le laboratoire de biologie de l’Académie des sciences de Budapest. Elle s’intéresse en particulier à l’ARN messager, une technique démontrée dès 1965 par des chercheurs de l’Institut Pasteur mais que ses supérieurs soviétiques masculins (forcément) ne voient pas d’un bon œil. A 30 ans, elle est renvoyée. Plutôt que de jeter l’éponge, elle traverse le rideau de fer avec seulement « 100 dollars dans mon sac à main, 900 dans un ours en peluche » obtenus en revendant sa Lada. Direction les États-Unis.

    Katalin Kariko atterrit avec son mari et leur fillette à Philadelphie et entre comme chercheuse à l’Université de Pennsylvanie. « Nous avions peu d’argent et faisions très attention, raconte-elle. Je travaillais énormément mais il se produisait toujours quelque chose qui me contraignait à repartir de zéro. » Car là encore, elle affronte les préjugés rabaissant et les docteurs lui prêtent peu de confiance. En cause, une propriété liée à ses recherches sur l’ARN messager qui déplaît.

    Cette technique consiste à copier un segment d’un chromosome puis le porter (comme un message) à la cellule visée par le traitement. En suivant les instructions, celle-ci va produire une protéine imitant le virus et déclencher une réaction des défenses immunitaires. Avec une conséquence : des inflammations sévères chez les patients qui font craindre le pire. L’université fait stopper les tests. Pourtant ce sérum a bien des avantages. Il permet des traitements personnalisées (contre les cancers), est plus rapide à concevoir et aide les cellules à se reconstruire (par exemple, après un AVC). Mais ces recherches sont méprisées face aux très prometteuses thérapies géniques. Discrète et respectueuse, Katalin Kariko est mise au placard.

    Dans une visio avec L’Obs, elle raconte : « J'étais sur le point d'être promue et il m'ont rétrogradée. Ils s'attendaient à ce que je claque la porte. » Elle va faire l’inverse : tenir, résister, même sans crédits. Tout va changer avec la rencontre de Drew Weissman, immunologue à l’université de Pennsylvanie. En 2005, les deux vont trouver la parade aux complications inflammatoires, en modifiant légèrement la structure de l'ARN pour qu’il soit mieux accepté par le système immunitaire. Ainsi, ni rejet, ni réaction de défense. Dix ans plus tard, ils ajoutent un enrobage lipidique autour de l’ARN pour le protéger et éviter qu’il se dégrade avant d’entrer dans les cellules cibles. Pour ses travaux, elle est embauchée par le laboratoire allemand BioNTech. Début 2020, ses travaux (35 ans de recherche) sont mis à profit pour créer un vaccin au Covid-19 en seulement 250 jours. Comparativement, il a fallu 12 ans pour mettre au point celui contre la polio.

    « À chaque annonce de prix Nobel, [ma mère] s'attendait à ce que mon nom soit prononcé. Je me moquais d'elle en lui rappelant que je n'avais même pas obtenu une bourse ». Mais tout pourrait changer car Katalin Kariko est pressentie pour le prochain Nobel. Après le Covid-19, son ARN messager pourrait s’attaquer au cancer. Ce qui lui aura fallu affronter est plus grand qu’une pandémie mondiale ; c’est la fermeture d’esprit d’un univers purement masculin. Son exemple devrait désormais inciter nombre de femmes à la suivre ou bénéficier de sa reconnaissance, comme avant elle Jennifer Doudna l’inventrice de CRISPR ou Hedy Lamar à qui on doit le Wi-Fi. Une femme déjà lui doit tout : sa fille, diplômée… de l’université de Pennsylvanie. Petite victoire que Katalin préfère à sa récente gloire.

    Katalin Kariko aux côtés de son mari et leur fille, Susan Francia aux JO de Londres 2012.

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