2021 M01 5
Si depuis 2017, l’Union européenne a autorisé la consommation de farines produites à partir d’insectes par les animaux d’élevage et de compagnie, concernant la consommation humaine, le flou juridique a longtemps persisté. Même aujourd’hui, les quelques entreprises productrices françaises doivent déposer des demandes individuelles d’autorisation de mise sur le marché de leurs produits. Bref, la confiance stagne, et ce alors que bon nombre de nos voisins se sont déjà mis à la consommation d’insectes depuis plusieurs années. Ce qui n’empêche pas la tendance de continuer à s’étendre dans l’Hexagone, pressée par le désastre désormais bien connu des élevages industriels de viande, et la nécessité d'en sortir, au moins partiellement.
« Les insectes font partie des repas quotidiens ou, a minima, traditionnels, d’au moins deux milliards de personnes sur la planète. »
"Peut-on continuer à manger autant de viande, alors que l'élevage industriel est un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre ?", se sont en effet demandé les aventuriers d'Energy Observer. Même en partant du principe que l’humain aura du mal à se passer complètement de viande (tout le monde ne deviendra pas végan en une génération), mais préférera se tourner vers une consommation raisonnée en dénichant des alternatives protéinées, où sont ces alternatives satisfaisantes ?
À Marcq-en-Barœul, dans le Nord de la France, Minus Farm, une ferme à insectes comestibles, semble avoir trouvé le début d'une solution en élevant (dans le sous-sol d'une maison) une nouvelle source très grouillante de protéines. Dans les boîtes spéciales apéro en vente sur leur boutique en ligne, criquets et grillons domestiques se partagent la vedette avec les larves de ténébrions Molitor (un petit coléoptère justement adepte de… farine).
Le burger aux insectes, prochain hit des chaînes de fast-food ?
Prochainement au menu de cette innovante entreprise : un burger dont la "viande" est en fait constituée à plus de 50% de vers de farine. "Le pain contient également de la poudre d’insectes", précisent les fondateurs. Ce burger éco-responsable, qui ne mobilise aucune ressource naturelle (les insectes n’ayant besoin ni de terre ni d’eau pour se développer convenablement), allait de salon en salon avant la crise sanitaire, pour de convaincantes dégustations. Sa commercialisation démarrera "dès que les autorisations de mise sur le marché seront délivrées", promet maintenant Minus Farm.
Il est estimé que les insectes font partie des repas quotidiens ou, a minima, traditionnels, d’au moins deux milliards de personnes autour du globe, en Amérique du Sud, en Asie ou encore en Afrique. "Plus de 1900 espèces sont mentionnées comme aliments humains", indique le site de Minus Farm, qui fournit aussi quelques recettes pour accommoder leurs farines et insectes. Pour avoir eu la chance de goûter des fourmis lors d'un voyage au Mexique, leur petit goût de noisette est très agréable. Et leur croustillant se marie parfaitement avec le fondant du mole poblano, cette sauce épicée au cacao qui accompagne souvent le poulet dans le pays d'Amérique du Nord. En Europe, il faudra surtout passer outre le dégoût culturel pour la texture, puis nos palais encore inadaptés s’habitueront.
Les combats pour améliorer le contenu de notre assiette sont aussi politiques
C’est pourtant à Toulouse que nous avions goûté, dès 2013, nos premières larves. Dans la Ville Rose, la société Micronutris, pionnière en la matière en France, élève et transforme des insectes depuis 2011. Une première ferme d’insectes comestibles qui produit crackers, barres d’énergie, pâtes et tablettes de chocolat bio, dans une obsession du zéro-déchet et un respect des circuits courts.
Plutôt que d’être importés, les insectes naissent et sont élevés en Haute-Garonne, et leur alimentation provient de producteurs locaux. Avant de pouvoir commercialiser leurs articles en France, la société exportait pourtant la majorité de sa production dans les pays autorisant la consommation de telles farines. Sans surprise, nos voisins sont en effet en avance : en Finlande et en Suisse (à noter que ces deux pays ne font pas partie de l'Union européenne), on vend depuis 2017 des pains et des burgers au grillon en supermarché ! "Nous ne sommes pas dans une consommation de masse, mais le marché français grandit très vite", assurait tout de même dès 2018 dans Le Parisien Cédric Auriol, patron de Micronutris.
Depuis, la modeste PME toulousaine a donc été rejointe par d’autres acteurs du marché de la farine d’insectes. Et comme dans toute production à la mode, il s’agira désormais pour le consommateur de faire attention à la provenance et à l'éthique des élevages ("les insectes sont-ils élevés sur place ou seulement importés ?" "Que mangent-ils vraiment ?", etc.), si l’on veut que cette nouvelle habitude de consommation devienne réellement durable.
5000 tonnes de farines produites par an
Chez Minus Farm, on va désormais plus loin, en proposant une solution "clé en main" pour élever soi-même ses propres insectes dans un conteneur aménagé, sur demande. Preuve que le combat pour changer nos habitudes alimentaires n’est pas qu’une histoire de mode et de gros sous. "La démarche de Minus Farm vise à promouvoir la consommation d’insectes comestibles en sensibilisant le public sur les enjeux de cette nouvelle agriculture", assure le site. Une conscience des enjeux du réchauffement climatique qui, s’il concerne d'abord ce que nous avalons au quotidien, est éminemment politique.
.@Ynsect obtient une homologation de mise sur le marché par l’@Anses_fr pour son #fertilisant naturel #Ynfrass à base de déjections de scarabée Molitor, en attendant l’industrialisation prochaine son élevage d’insectes, près d'Amiens #next40 #agtech https://t.co/dSnhIBgjvm
— Ÿnsect (@Ynsect) June 17, 2020
Minus Farm, Micronutris, mais aussi Ÿnsect ou Invers (à destination des animaux)… La production française a atteint les 5000 tonnes de farine d'insectes par an depuis 2018. Mais si pour les humains, l’apport protéique est aussi intéressant, voire meilleur, que celui procuré par un morceau de bœuf de poids équivalent, les coûts de production sont encore élevés, faute d’infrastructures importantes adaptées. Quand l’industrie s’y penchera de plus près, cette croustillante alternative cessera d'être prise à la légère.
Premier ambassadeur français des Objectifs de Développement Durable de l’ONU, la mission Energy Observer sensibilise aux solutions innovantes avec son bien-nommé projet "Solutions". Mais Energy Observer, c’est avant tout le nom du premier navire autonome en énergie, à la fois plaidoyer et laboratoire de la transition écologique. Toutes les informations sur le projet sont à découvrir ici.